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Tag - Olivier Blanchard

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mardi 31 mars 2020

Quels rôles doit jouer la politique budgétaire face au coronavirus ?

« Le leitmotiv pour la politique budgétaire ces derniers jours a été "tout ce qui est nécessaire" (whatever it takes), et c’est en effet le bon leitmotiv. Mais qu’est-ce que cela ? Quels en sont les détails ? Et pouvons-nous nous le permettre ? Ou allons-nous nous réveiller dans quelques mois avec une gueule de bois en nous demandant "mais pourquoi diable avons-nous fait cela ?"

Le propos de ce billet est de parcourir chacune de ces questions et de tenter une conclusion. (Spoiler : pour les pays développés, "tout ce qui est nécessaire" peut être moindre que ce que vous pensez. Et, oui, nous pouvons presque certainement nous le permettre.) Dans un prochain billet, je comparerai mes conclusions normatives avec ce qui est mis en place dans différents pays.

Je vois trois rôles pour la politique dans la crise du COVID-19. Le premier est la lutte contre l’infection : il faut assurer les dépenses nécessaires pour faire face à l’infection aujourd'hui et inciter les entreprises à produire des tests, des médicaments et des vaccins, afin que la pandémie puisse refluer et être gardée sous contrôle. Le deuxième est le secours aux sinistrés : il s’agit de fournir des fonds aux ménages et entreprises contraints en termes de liquidité. Beaucoup de ménages ne disposent pas assez de liquidités pour survivre les prochains mois sans aide financière. Beaucoup d’entreprises n’ont pas assez de liquidités pour éviter la faillite sans aide. Il est essentiel de fournir de l’aide financière pour éviter des souffrances extrêmes et d’endommager de façon permanente l’économie. Le troisième est le soutien à la demande globale : il faut s’assurer que l’économie opère le plus proche possible de son potentiel, tout en gardant en tête que le potentiel est, pour l’instant, profondément affaibli par les mesures sanitaires que sont adoptées pour réduire le taux d’infection. Je vais me pencher sur chacun de ces trois rôles en détails.

La lutte contre l’infection est incontournable


C’est une priorité absolue de réduire le taux d’infection. Outre les mesures de confinement, il est essentiel d’avoir plus de tests, de respirateurs, de masques et d’autres fournitures médicales vitales. A court terme, la contrainte est largement technologique, mais un supplément de fonds peut aider à attirer les entreprises et travailleurs avec les qualifications pertinentes à accélérer la production. Le maintien du taux d’infection à un faible niveau sera essentiel pour la reprise, ce qui implique d’inciter les entreprises à produire des tests, à rechercher des remèdes et à développer des vaccins. La conclusion, cependant, est que la dépense dans l’endiguement de l’infection est essentiel, existentiel et cher, mais toujours faibles en termes macroéconomiques et budgétaires, moins d’un pourcent du PIB d’un pays.

L’aide aux sinistrés est également incontournable


Une grande proportion de ménages n’a pas de réserves de liquidités. En raison d’une faible demande ou d’une fermeture imposée, plusieurs petites et moyennes entreprises, qui représentent 45 % de la valeur ajoutée totale aux Etats-Unis, n’ont pas assez de liquidités en réserve pour survivre plus de quelques mois. Il est essentiel de leur fournir assez de liquidités pour survivre à la crise. Le principal problème, c’est comment verser rapidement des fonds aux gens et aux entreprises en difficulté. Il y a beaucoup de choses faites sur cette question, avec des solutions différentes d’un pays à l’autre. Cela va de la suspension ou annulation des versements d’impôts à l’extension de l’indemnisation du chômage, en passant par l’envoi de chèques, par la demande faites aux entreprises d’avancer les salaires aux travailleurs, par la demande faite aux banques d’avancer les prêts aux entreprises en difficulté et par la mise en place d’un filet de sécurité en dernier ressort par l’Etat.

Aucun de ces canaux de distribution ne fonctionne parfaitement ; ils sont loin d’être parfaits. Nous n’en savons pas assez sur l’identité des agents en difficulté ; il est encore plus difficile d’atteindre ceux qui sont le plus en difficulté. En conséquence, qu’importe le choix fait quant au mode de fourniture, il vaut mieux donner trop que pas assez. Cela peut cependant se traduire par un gros paquet. Considérons ces simples calculs au dos de l’enveloppe pour une limite supérieure plausible : supposons que 40 % des entreprises et des ménages soient potentiellement contraints en termes de liquidité, que le taux de remplacement soit de 80 %, si bien que l’Etat doive remplacer, disons, 32 % du revenu perdu. Supposons que les entreprises non essentielles soient fermées et que la production chute de 35 % (ce qui est l’estimation pour les économies en confinement comme la France). Supposons que les fonds prennent la forme de subventions plutôt que de prêts, une question à laquelle je reviendrai ci-dessous. Le coût budgétaire est 0,35 x 0,33, soit 0,11, c’est-à-dire 11 %. Si l’économie est, disons, pleinement en confinement pendant deux mois et à moitié en confinement pendant les six mois suivants, la facture budgétaire devrait représenter environ 5 % du PIB.

Le soutien de la demande globale est plus délicat


Dans une récession normale, le contrôle de la demande agrégée devrait être la principale motivation pour l’usage de la politique budgétaire. Ce n’est toutefois pas une récession normale et cela a d’importantes implications. A court terme, aussi longtemps que les contraintes de confinement sont effectives, la production potentielle va rester bien plus faible. Si l’on se base sur le chiffre français que j’ai cité plus haut, la baisse de la production potentielle, liée au confinement et à la fermeture de toutes les firmes non essentielles, se situe probablement entre 25 et 40 %. Les gouvernements doivent accepter une baisse correspondante de la demande (l’importer de l’extérieur n’est pas une option ; ce n’est pas une guerre mondiale contre le virus). Pour le dire autrement, soutenir la demande au-dessus du potentiel, disons, via des baisses d’impôts pour les entreprises ou les ménages, peut mener à des rationnements et à de l’inflation plutôt qu’à une hausse de l’activité.

La situation va cependant changer si et quand le taux d’inflation sera sous contrôle, les restrictions lentement sont relâchées et la production potentiel parvient à revenir à proximité de son ancien niveau. Y aura-t-il alors besoin de stimuler la demande globale et d’aider l’économie à connaître une reprise plus rapide ? D’un côté, il se peut que les consommateurs cherchent à rattraper leurs dépenses dans les achats de voitures et d’autres biens durables qu’ils n’ont pas pu effectuer pendant le confinement. D’un autre côté, le rythme auquel les restrictions sont retirées ou la possibilité que les restrictions soient réinstallées si le taux d’infection repart à nouveau à la hausse sont susceptibles d’entraîner une épargne de précaution par les consommateurs et un faible investissement par les entreprises. En toute sincérité, je ne sais pas quelle sera la tournure des événements et cette incertitude a une implication simple : les gouvernements doivent être prêts à agir, mais ils ne doivent pas s’engager à un niveau spécifique d’expansion budgétaire avant qu’ils ne voient où ira la demande.

Pour résumer, la lutte contre l’infection et l’aide aux sinistrés sont de la plus haute priorité. A moins que la lutte contre le virus s’avère être bien plus difficile et plus longue qu’on ne l’anticipait, ces deux mesures impliquent des déficits amples, mais pas non plus gigantesques. En faire plus pour accroître la demande agrégée peut être imprudent à court terme et une stimulation peut ou non être nécessaire plus tard. La flexibilité est ici essentielle.

Les gouvernements doivent-ils s’inquiéter de la hausse de leur dette ?


Y aura-t-il un moment "que diable avons-nous fait ?" C’est ce qui s’était passé en Europe durant la crise financière, quand, après s’être embarqués dans une expansion budgétaire majeure, les gouvernements se sont inquiétés de la hausse de la dette publique et ont alors embrassé l’austérité budgétaire, ce qui a probablement freiné la reprise.

Supposons que, en conséquence non seulement des déficits, mais aussi de la baisse de la production, les ratios dette publique sur PIB augmentent cette fois de 30 points de pourcentage (le calcule ci-dessus suggère des chiffres plus petits). Les gouvernements devraient-ils s’inquiéter ? Et, si c’est le cas, doivent-ils concevoir de plus petits plans de soutien aujourd’hui, peut-être en s’appuyant davantage sur les prêts que sur les subventions aux ménages et entreprises ? Je crois que la réponse dépend du niveau de développement du pays.

Dans les pays développés, la réponse doit être que, à l’exception d’une défaite dans la lutte contre le virus, la dette publique restera soutenable. (Et si nous perdons cette bataille, la soutenabilité de la dette publique ne sera pas le premier de nos problèmes). Avant la crise du coronavirus, j’ai affirmé que de faibles taux d’intérêt sûrs impliquaient non seulement que des niveaux plus élevés de dette publique sont soutenables, mais aussi que le coût en bien-être d’une dette plus élevée pour les futures générations était faible. Cela implique que les gouvernements des pays riches ne doivent pas hésiter à creuser les déficits publics si, en raison des contraintes pesant sur la politique monétaire, le creusement des déficits est nécessaire pour maintenir la production à son potentiel. Le besoin de maintenir la production à son potentiel est plus crucial ici. Et, les taux d’intérêt sûrs sont susceptibles d’être encore plus faibles dans le futur qu’on ne l’anticipait avant la crise du coronavirus. L’épargne de précaution est susceptible d’être plus élevée et l’incertitude est susceptible de freiner l’investissement, deux choses qui impliquant un plus faible taux neutre pour une longue période.

Je pense donc que les pays développés disposent d’une substantielle marge de manœuvre budgétaire, mais je suis moins sanguin à propos des pays émergents et des pays en développement. Beaucoup d’entre eux souffrent déjà de la crise du coronavirus et ont été frappés non seulement par l’épidémie, mais aussi la chute des prix des matières premières (pour ceux qui en exportent) et de larges sorties de capitaux par les investisseurs financiers qui veulent de la liquidité. Certaines de ces économies n’ont pas la marge de manœuvre budgétaire pour réagir à ces chocs combinés et vont avoir besoin d’aide, sous la forme de subventions pour lutter contre l’épidémie et des programmes d’ajustement pour s’adapter aux autres chocs. Aider les pays émergents et en développement est une question majeure et urgente, non seulement pour leur propre intérêt, mais également pour l’évolution de la pandémie et donc pour l’intérêt du reste du monde. Il est dur pour les pays développés, confrontés à la crise chez eux, d’être généreux, mais il est essentiel qu’ils le soient.

Ma conclusion : de mon point de vue, "tout ce qui est nécessaire" signifie dépenser autant qu’il est nécessaire pour combattre l’épidémie et éviter les famines et banqueroutes. Etre prêt à dépenser plus si la demande ne revient pas et s’engager à le faire, mais se garder les options ouvertes. Et, du moins pour les pays développés, ne pas s’inquiéter de la hausse subséquente de la dette publique. »

Olivier Blanchard, « "Whatever it takes." Getting into the specifics of fiscal policy to fight COVID-19 », in PIIE, Realtime Economic Issues Watch (blog), 30 mars 2020. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Booms, crises et reprises : n’est-il pas temps de changer de paradigme ? »

« L’hystérèse, ou comment la politique budgétaire a retrouvé sa légitimité »

« Faut-il s'inquiéter de la dette publique lorsque les taux d’intérêt sont faibles ? »

dimanche 24 novembre 2019

La zone euro n’est pas (encore) prête pour la monnaie-hélicoptère

« Avec un menu d’options budgétaires et monétaires dangereusement réduit pour stimuler l’activité dans la zone euro en cas de récession, les responsables de la politique économique et les économistes ont commencé à discuter d’une proposition qui semble à la fois simple et exotique : si la consommation des ménages et l’investissement des entreprises sont trop faibles, pourquoi la banque centrale n’enverrait-elle pas, par exemple, 500 euros à chaque résident de la zone euro ? Les résidents dépenseraient cet argent et l’économie s’en trouverait stimulée.

Cette idée, dite de la "monnaie-hélicoptère" (helicopter money), a un bon pedigree et un nom mémorable. Milton Friedman a introduit le concept et lui a donné son nom, bien qu’il ne conseilla pas de la mettre en pratique. Peter Praet (2016), qui a été membre du conseil des gouverneurs de la Banque Centrale Européenne (BCE) jusqu’à récemment, a un jour indiqué que" toutes les banques peuvent le faire". Et un récent rapport Blackrock (Bartsch et alii, 2019), avec notamment Stanley Fischer et Philip Hildebrand comme coauteurs, s’est prononcé en faveur d’une version de la monnaie-hélicoptère.

De plus, le concept a un clair attrait politique. Il a été qualifié d’"assouplissement quantitatif pour le peuple" (quantitative easing for the people) (Muellbauer, 2014) : au lieu d’aider les banques ou d’enrichir les détenteurs d’obligations, la banque centrale devrait mieux donner de la monnaie à la population, une façon transparente d’accroître son pouvoir d’achat.

Qu’est-ce que la monnaie-hélicoptère ?


En fait, malgré son nom, la monnaie-hélicoptère n’est pas si exotique que cela. D’un point de vue économique, c’est l’équivalent d’une relance budgétaire combinée à une relance monétaire. On peut la considérer comme une sorte d’expansion budgétaire prenant la forme de transferts de revenus opérés par le gouvernement à la population, financée par les obligations publiques, titres que la banque centrale achèterait en échange de monnaie via une opération d’open market. Pour cette raison, Ben Bernanke (2016) l’a qualifiée de "programme budgétaire financée par création monétaire" (money-financed fiscal program), un nom plus précis, mais moins attrayant, et un nom effrayant pour ceux qui voient tout financement par création monétaire comme une route directe vers l’hyperinflation.

L’équivalence n’est cependant pas totale. Si la monnaie-hélicoptère est entreprise indirectement (avec des obligations émises par le gouvernement pour financer des transferts, puis achetée par la banque centrale), la dette résultante apparaît comme une dette du gouvernement central vis-à-vis de la banque centrale. Cette dernière connaît une hausse de son passif (via la hausse de l’offre de monnaie) et de son actif (les obligations publiques), sans changement dans ses fonds propres. Si elle est entreprise directement (avec la banque centrale transférant directement de la monnaie aux ménages), la dette du gouvernement central reste inchangée. La banque centrale, cependant, connaît alors une hausse de son passif (la hausse de l’offre de monnaie) sans hausse de son actif, ce qui se traduit par une détérioration de ses fonds propres.

La différence entre les deux scénarii n’est pas pertinente d’un point de vue purement économique. Ce qui importe pour l’économie est le changement du bilan consolidé du gouvernement (combinant les bilans du gouvernement central et de la banque centrale) et celui-ci est le même dans les deux cas. Si la hausse de la dette prend la forme d’une hausse du passif du gouvernement central ou une hausse du passif de la banque centrale n’est pas significative. Ce qui importe pour les finances publiques est la valeur actualisée des soldes budgétaires futurs, qui à nouveau ne change pas. Mais cette différence est importante d’un point de vue politique : les banquiers centraux s’inquiètent, à tort ou à raison, à l’idée qu’une baisse des fonds propres de la banque centrale (en particulier s’ils deviennent négatifs) puisse laisser paraître que la banque centrale est mal gérée, chose qui affaiblirait son pouvoir politique et amènerait le gouvernement à remettre en cause l’indépendance de la banque centrale.

Comment la monnaie-hélicoptère fonctionnerait


Supposons que la BCE soit encline à recourir à la monnaie-hélicoptère. Est-ce que ce serait une façon efficace de contrer une récession dans la zone euro d’un point de vue macroéconomique ?

Initialement, les transferts budgétaires financés par la banque centrale peuvent s’avérer bien efficaces, parce qu’ils stimuleraient directement les dépenses de consommation. Et contrairement au gouvernement, qui peut augmenter les impôts après coup, la banque centrale n’aurait aucun moyen d’annuler les transferts qu’elle a financés. Donc, les ménages seraient plus incités à les dépenser (la banque centrale peut décider ex post de compenser leur impact sur son bilan en réduisant la taille de son portefeuille d’obligations souveraines, mais cela n’affecterait pas directement les ménages).

Il y a davantage de questions à propos des conséquences à plus long terme. Supposons, contrairement à la situation actuelle de la zone euro, que le taux directeur soit initialement positif. Alors, si la production ou l’inflation sont trop faibles, la combinaison d’expansions budgétaire et monétaire irait clairement dans la bonne direction, à savoir une hausse de l’activité économique (Galí, 2019). Cependant, ce ne serait peut-être pas la bonne combinaison : la combinaison appropriée pourrait impliquer davantage d’action monétaire ou davantage d’action budgétaire. En effet, certains chiffres nous suggèrent que ce n’est pas la bonne combinaison. Dans la zone euro, le ratio de la monnaie qui ne rapporte pas d’intérêt sur le PIB est de pratiquement 10 %. Ce ratio implique qu’une hausse d’un point de pourcentage du déficit financée par la monnaie budgétaire pour une année se traduirait par une hausse de 10 % de la monnaie, donc finalement par une hausse de 10 % du niveau des prix. Même si l’on supposait que la BCE ait adopté une stratégie de ciblage du niveau des prix, le coût en termes d’inflation d’un tel plan de relance relativement modeste excèderait probablement ce qui serait acceptable étant donné l’actuelle insuffisance du niveau des prix. Pour le dire autrement, étant donné les limites de l’ampleur à laquelle le niveau des prix serait permis de s’accroître, la relance budgétaire associée serait trop faible pour être significative sur le plan macroéconomique.

Si, de façon plus réaliste, le taux directeur est déjà à zéro (ou légèrement en territoire négatif en raison de la borne inférieure effective), comme c’est le cas dans la zone euro, alors il n’y a pas de différence immédiate entre la monnaie et la dette. Toutes les deux rapportent zéro (ou quasiment zéro). Donc, dans ce cas, la monnaie-hélicoptère est-elle simplement l’équivalent d’une expansion budgétaire financée par voie de dette ? Pas vraiment. Cela dépend de ce que les investisseurs pensent qu’il surviendra une fois que les taux d’intérêt redeviendront positifs. Comme l’a observé Narayana Kocherlakota (2016), l’ancien président de la Réserve fédérale de Minneapolis, si les investisseurs s’attendent à ce que la monnaie rapporte des intérêts (comme c’est le cas pour les réserves bancaires aux Etats-Unis), alors il n’y a vraiment pas de différence entre le financement par création monétaire et le financement obligataire : tous les deux rapportent zéro aujourd’hui et tous deux vont rapporter des intérêts dans le futur. Si les investisseurs s’attendent à ce que la monnaie ne rapporte pas d’intérêt à l’avenir, ils s’attendent à ce que le niveau des prix finisse par être plus élevé et donc doivent s’attendre à davantage d’inflation à l’avenir. Pour le dire autrement, si la banque centrale s’engage de façon crédible à ne pas payer d’intérêts sur la monnaie à l’avenir, alors la monnaie-hélicoptère doit mener à une révision à la hausse des anticipations d’inflation, donc réduire les taux réels à long terme aujourd’hui. On peut bien douter de la force empirique de ce canal des anticipations. Mais dans la mesure où il est présent, le même résultat peut être atteint via le forward guidance, c’est-à-dire par l’engagement de la banque centrale à maintenir le taux directeur inchangé jusqu’à ce que le niveau des prix (et pas seulement l’inflation) ait atteint une certaine cible.

Cette analyse suggère que l’argumentaire général pour la monnaie-hélicoptère est fragile. Aux Etats-Unis, il y a une certaine marge de manœuvre pour utiliser les politiques monétaire et budgétaire et pour le faire avec la bonne combinaison. Dans la zone euro, où la politique monétaire dispose d’une moindre marge de manœuvre, l’action doit se concentrer sur la politique budgétaire. Qu’elle soit financée par les obligations ou par la création monétaire, cela fait peu de différence économique, à moins que l’on accepte une forte inflation.

Mais il y a quelque chose à prendre en compte concernant la zone euro. La politique budgétaire dans l’union monétaire européenne est fortement contrainte par les règles de l’UE et les règles nationales. En l’occurrence (…), si les règles sont respectées, la marge pour l’expansion budgétaire est extrêmement limitée et risque de ne pas suffire pour combattre une récession. Dans ce contexte, la monnaie-hélicoptère (des transferts directs de la BCE vers la population) peut être interprétée comme une façon de contourner les contraintes budgétaires. La dette apparaît dans le bilan de la BCE et non dans les bilans des gouvernements nationaux. Et, comme la dette de la BCE est une dette jointe, cela permet même aux pays-membres avec de plus fragiles situations budgétaires de participer implicitement et de partager également aux transferts. D’une certaine façon, la monnaie-hélicoptère peut être vue comme un substitut à une capacité budgétaire commune toujours manquante. Sa mise en œuvre, cependant, soulève des défis opérationnels, juridiques et politiques.

La BCE ferait face à d’importants risques et obstacles


Pour des raisons relatives à la gouvernance et des raisons pratiques, la BCE ne peut procéder sans l’approbation des gouvernements nationaux. La BCE manque de la capacité technique et de l’information nécessaires pour opérer les transferts. Elle aurait à s’appuyer sur les Trésors nationaux comme relais ou pour obtenir les informations pertinentes (telles que les identifications individuelles pour les destinataires). Si tous les Etats-membres de la zone euro considéraient les règles budgétaires en vigueur comme contreproductives, ils pourraient donner à la BCE leur bénédiction. M ais certains Etats-membres ne pourraient voir la monnaie-hélicoptère que comme une façon de contourner des règles qu’ils apprécient. Ils l’empêcheraient par des moyens constitutionnels (comme le fit la Cour constitutionnelle allemande pour essayer de bloquer le programme d’achats d’obligations souveraines de la BCE en 2017) ou simplement en refusant de participer à l’organisation des transferts.

Il faudrait également décider de la taille et de la répartition des transferts, entre les pays et au sein des différentes populations nationales. Faudrait-il les faire à destination des individus ou des ménages ? Est-ce que les gens en Allemagne et en Lituanie (un pays dont le PIB par tête est moitié moindre que celui de l’Allemagne) recevraient le même montant ? Si ce n’est pas le cas, qui déciderait ? Si c’est la BCE, elle aurait à faire d’importants choix distributifs, une tâche qui convient mieux aux autorités budgétaires et qui doit être soumise à l’approbation parlementaire.

Ces implications distributionnelles s’ajouteraient aux obstacles juridiques. Le système de l’UE a été construit sur la promesse d’une séparation étanche entre les politiques monétaire et budgétaire. Même si la BCE entreprenait de sa propre initiative un programme de transferts de liquidité de facto vers les ménages et le mettait en œuvre via le système bancaire, il serait certainement attaqué en justice. La Cour constitutionnelle de l’Allemagne et certainement celles d’autres pays définiraient probablement la monnaie-hélicoptère comme un programme de politique économique (et non monétaire) et considéreraient qu’un tel programme doit être de la responsabilité des gouvernements et parlements nationaux.

Finalement, la monnaie-hélicoptère n’est pas sans risques pour la BCE comme institution. Des questions de mandat et d’indépendance ont été mises en avant à propos des implications distributionnelles des mesures non conventionnelles et même standards de la politique monétaire (et en particulier de leur coût pour les "épargnants allemands"). Elles ont aussi été soulevées à propos du plus grand usage des politiques macroprudentielles, certaines d’entre elles ayant d’importantes implications distributionnelles. La monnaie-hélicoptère alimenterait ces controverses et soulèveraient de sérieuses questions à propos de la pertinence de l’indépendance de la banque centrale. Le risque nous semble trop important pour être ignoré.

Pourrait-il y avoir des circonstances où l’équilibre des risques et profits penche de l’autre côté et où la BCE procéderait à la monnaie-hélicoptère ? Nous croyons que ce n’est pas probable. S’il y avait une profonde récession, cela déclencherait les clauses dérogatoires des règles fiscales, rendant la monnaie-hélicoptère redondante. S’il y avait une légère récession ou une stagnation prolongée, c’est-à-dire des situations qui ne susciteraient pas de réaction budgétaire, il n’est pas probable que la BCE désire franchir le Rubicon. Et s’il n’y a pas de récession, il n’y a pas de besoin manifeste pour la monnaie-hélicoptère. Cela nous amène à être sceptiques à l’idée que nous devrions prochainement voir la monnaie-hélicoptère d’ici peu dans la zone euro. »

Olivier Blanchard & Jean Pisani-Ferry, « The euro area is not (yet) ready for helicopter money », in PIIE, Realtime Economic Issues (blog), 20 novembre 2019. Traduit par Martin Anota

mercredi 26 juin 2019

Quelle architecture pour la politique macroéconomique de la zone euro ?

« (...) L’architecture de la politique macroéconomique de la zone euro souffre de deux faiblesses sérieuses, qui ont largement façonné l’histoire des 20 dernières années et qui devraient façonner aussi les années qui arrivent. (…). La première est ancienne et bien connue, à savoir le manque d’ajustement des prix relatifs. Ce fut à la source des larges déficits de comptes courants dans le sud de la zone euro et cela se manifeste à présent à travers les larges excédents de comptes courants de l’Allemagne et des Pays-Bas. Ce problème n’est toujours pas résolu. La seconde est plus récente. C’est le cadre de la politique budgétaire, à la lumière des très faibles taux d’intérêt qui prévalent et qui devraient persister à l’avenir. Dans ce contexte, la politique budgétaire a un rôle bien plus actif à jouer, et elle n’est pas encore équiper pour ce faire.

Je vais commencer par brièvement évoquer la première fragilité. Elle nous est familière, mais elle ne doit pas être ignorée. Mais je vais surtout me focaliser sur la seconde. J’avoue que, dans le contexte géopolitique de la zone euro, cela paraît hors sol, mais il est utile de commencer par là.

L’architecture de politique macroéconomique dans l’"idéal"


Prenons un peu de recul et commençons avec l’architecture de la politique macroéconomique et l’allocation des tâches entre politiques budgétaire et monétaire dans l’idéal dans une zone monétaire telle que la zone euro. La politique monétaire devrait être en charge du maintien de la production potentielle de la zone euro à son potentiel ou, ce qui revient au même (selon moi), du maintien de l’inflation de la zone euro à sa cible. Dans chaque pays-membre, la politique budgétaire devrait suivre ce que j’appellerai des principes de pures finances publiques, le vieillissement démographique, la redistribution intergénérationnelle, le lissage des impôts. En d’autres mots, il devrait y avoir une nette séparation des tâches. Et si, comme c’est probable, cela laisse des pays en particulier avec des écarts de production, positifs ou négatifs, les prix relatifs devraient s’ajuster pour maintenir la production de chaque pays à son potentiel. Qu’importe ce que seront les soldes courants, (…) tout se passera bien.

Les prix relatifs ne s’ajustent pas, du moins pas assez vite


Pourquoi cela n’a-t-il pas eu lieu ? La principale raison est que les prix relatifs ne s’ajustent pas ou, du moins, ne s’ajustent pas assez vite. En conséquence, comme nous l’avons vu, certains pays finissent avec de larges déficits de comptes courants ou de longues et douloureuses contractions ou une combinaison des deux. Et maintenant nous voyons subsister de larges excédents de comptes courants, qui ne sont pas aussi mauvais, mais qui constituent pourtant un problème majeur. Nous nourrissions l’espoir, au début, que le taux de change nominal fixe mènerait à un ajustement plus rapide des prix et salaires. Ce ne fut pas le cas. Et, à cause de la faiblesse de l’inflation, la rigidité des salaires à la baisse s’est renforcée.

Est-ce que cela peut être résolu ? Pas facilement, et je pense que cela restera un problème à résoudre à l’avenir. Nous ne pouvons pas obtenir les mêmes amples chocs que nous avions eus au début de l’euro, mais il y aura des chocs spécifiques aux pays. Pour résoudre le problème, ou du moins le réduire, cela requiert un certain nombre de conditions. Premièrement, il doit y avoir un accord sur ce qui doit être fait, sur ce qui serait la bonne configuration des comptes courants et sur la façon par laquelle chaque pays doit s’ajuster. Et ensuite, il y a la mise en œuvre, via les ajustements des salaires et des prix au niveau de chaque pays, à la hausse comme à la baisse. Aucune de ces conditions n’est satisfaite.

Concernant la première, voici une anecdote. En 2015, le rapport des Cinq Présidents préconisait la création d’un système d’autorités de la compétitivité pour la zone euro et la création de conseils nationaux de la compétitivité. Après l’opposition de l’Allemagne, les conseils s’appellent désormais les "conseils nationaux de la productivité".

Même s’il y avait un accord à propos de la bonne configuration des soldes de comptes courants, il ne serait pas facile d’obtenir celle-ci. Il vaut mieux l’atteindre via l’inflation dans les pays dont le compte courant est excédentaire que via la déflation dans les pays dont le compte courant est déficitaire. La raison en est que la déflation entraîne une hausse des taux d’intérêt réels, rendant l’ajustement encore plus difficile pour les pays à déficits courants. Penser en ces termes serait un premier pas pour les pays-membres de la zone euro et requiert une cible d’inflation plus flexible pour la BCE. Nous n’en sommes pas là.

Finalement, au niveau d’un pays, même si un ajustement parallèle des salaires nominaux et des prix des biens produits dans l’économie domestique peut réduire le fardeau, il est très difficile à obtenir. La confiance nécessaire entre les partenaires sociaux pour atteindre un tel ajustement coordonné n’est pas là. J’ai conseillé des cadres institutionnels où de tels accords ou, du moins, de telles discussions peuvent prendre place, mais là aussi nous n’y sommes pas.

Le défi des très faibles taux d'intérêt neutres


Passons au deuxième défi, celui qui pose les très faibles taux d’intérêt neutres. Comme je l’ai affirmé dans une récente contribution, cela a deux implications générales. Ils impliquent un plus faible coût de la dette, à la fois budgétaire et économique. Je me suis focalisé sur un différentiel r-g négatif, mais le point général est le faible coût de la dette. Et (…) parce que la faiblesse des taux augmente la probabilité que la borne inférieure effective soit plus contraignante et réduit donc la marge de manœuvre de la politique monétaire, elle implique un rôle plus important pour la politique budgétaire.

Est-ce la situation dans laquelle se trouve la zone euro ? Ma réponse est oui. Y a-t-il un écart de production de la zone euro ? Comme nous le savons, c’est une question controversée, mais je continue de me fier au comportement de l’inflation. Selon moi, le fait que l’inflation soit inférieure à la cible indique qu’il y a en effet un écart de production. Et en regardant les pays à un, je vois un écart de production négatif dans plusieurs d’entre eux. Est-ce que la politique monétaire a perdu sa marge de manœuvre ? Elle est clairement réduite. Certes, elle peut acheter beaucoup plus d’actifs. Mais les effets de ces achats sur les taux sont sûrement très limités. Et il n’y a sûrement pas assez de marge de manœuvre pour répondre à une récession (…).

Cela a des implications pour la politique budgétaire en général et pour la politique budgétaire dans une zone monétaire en particulier. Commençons avec les implications générales (…) : La première, qui est assez évidente, est qu’il était peut-être urgent de réduire la dette publique, mais que sa réduction n’est pas urgente aujourd’hui. Les coûts sont plus faibles. Les risques sont aussi plus faibles. Alors que la dette est élevée, le service de la dette ne l’est pas, selon les normes historiques. Il n’y a pas de crise de la dette souveraine.

La deuxième implication est que, dans la mesure où la demande globale est insuffisante pour maintenir la production à son potentiel, les déficits sont nécessaires pour la soutenir. Certes, des réformes structurelles, qui stimulent la croissance et nourrissent l’optimisme et par là la demande aujourd’hui, peuvent aider, mais les preuves empiriques suggèrent qu’il serait dangereux de ne se reposer que sur elles.

La troisième implication, qui est complémentaire à la deuxième, est que, dans la mesure où les déficits budgétaires sont nécessaires, ils doivent être utilisés, autant que possible, pour investir dans le futur, soit via l’investissement public, compris dans un sens large, soit via le financement des réformes structurelles.

Les implications pour l’architecture budgétaire de la zone euro


Tournons-nous maintenant vers les implications pour l’architecture budgétaire de la zone euro (…). Focalisons-nous sur quatre implications. La première est qu’il faut réviser les diverses règles définissant des cibles de dette, les vitesses d’ajustement à ces cibles et la flexibilité avec laquelle la politique budgétaire peut répondre à une faible demande globale.

La deuxième implication est que, dans la mesure où des déficits publics sont nécessaires pour soutenir la demande globale, ils doivent être bien utilisés. Depuis 2007, le ratio rapportant l’investissement public au PIB dans la zone euro a baissé de 0,8 point de pourcentage, de 2,3 points de pourcentage en Grèce, 2,7 points de pourcentage en Espagne, 1,3 point de pourcentage au Portugal et 0,9 points de pourcentage en Italie. Cela suggère fortement de réviser ce que l’on appelle la règle d’or budgétaire, c’est-à-dire la séparation entre un compte courant et un compte de capital pour les gouvernements, avec la possibilité de financer les dépenses du compte de capital via l’emprunt. Je suis conscient du risque que les gouvernements cherchent à classer un maximum de dépenses comme investissement. (…) Donc, il faut clairement une certaine institution au niveau de la zone euro qui ait le pouvoir de dire ce qui doit être ou non classé comme tel.

Les troisième et quatrième implications reflètent la spécificité d’une zone monétaire. La troisième a à voir avec la coordination des politiques monétaire et budgétaire. Dans cet environnement, la coordination entre politiques monétaire et budgétaire devient plus cruciale. Elle est plus difficile quand il y a 19 pays qui y sont impliqués. Cela plaide davantage pour une sorte de ministère des finances au niveau de la zone euro.

Enfin, la quatrième découle des externalités spécifiques à la monnaie unique. Lorsque la politique budgétaire doit être expansionniste au niveau de la zone euro, elle risque de ne pas être suffisamment assouplie. La raison tient aux effets de débordement, c’est-à-dire aux externalités survenant dans un groupe de pays très intégrés les uns aux autres. La hausse de la demande domestique provenant de l’expansion budgétaire se traduira par une hausse des importations et non seulement une hausse de la demande de produits domestiques. Par conséquent, les pays sont susceptibles d’en faire trop peu et la production de la zone euro risque de rester inférieure à son potentiel.

Quelle peut être la solution ? (…) Premièrement, via une expansion budgétaire coordonnée, telle que celle qui a été menée par le G20 en 2009, lorsque chaque Etat avait émis de la dette publique. Cela se limiterait malheureusement aux Etats capables de le faire, même si je pense que les marchés seraient plus favorables à un creusement des déficits publics en Italie si celui-ci était la contrepartie d’un plan de relance coordonné. Deuxièmement, via un Budget commun, financé par l’émission d’eurobonds. Mais cela implique un partage des risques et nous connaissons les difficultés politiques auxquelles se heurte une telle idée (le nouvel embryon de Budget est un début et je l’espère pas une fin). (…) »

Olivier Blanchard, « ECB monetary policy in the post-Draghi era », discours prononcé à la conférence de la BCE tenue à Sintra le 17 juin 2019. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« Faut-il s'inquiéter de la dette publique lorsque les taux d’intérêt sont faibles ? »

« Le cœur de la zone euro aiderait-il la périphérie en adoptant un plan de relance ? »

« Unification budgétaire ou désintégration monétaire »

« Vers l’union budgétaire »

mardi 14 mai 2019

La stagnation séculaire nous oblige à reconsidérer le rôle de la politique macroéconomique

« Les éditions MIT Press ont publié Evolution or Revolution? Rethinking Macroeconomic Policy after the Great Recession, un livre contenant les articles et des discussions que nous avons organisées à une conférence de la Peterson Institute il y a 18 mois. Alors que les choses sont toujours loin d’être claires, les événements qui se sont déroulés depuis nous amènent à considérer que la stagnation séculaire constitue une menace sérieuse pour les pays développés. A partir de points de vue quelque peu différents (Blanchard, 2019, et Rachel et Summers, 2019), nous en sommes de plus en plus venus à croire qu’il est nécessaire de reconsidérer en profondeur la politique macroéconomique et en particulier la politique budgétaire.

"Nous avions écrit (…) qu’au minimum, la politique monétaire doit rétablir sa marge de manœuvre. La politique budgétaire doit être réintroduite comme un outil de stabilisation majeur. Et les politiques financières doivent continuer d’être ajustées et renforcées. Nous pouvons qualifier cela d’évolution. Si, cependant, les taux neutres restent extrêmement faibles, peut-être même négatifs, ou si la régulation financière marque le pas, des changements plus profonds pourraient être nécessaires, allant du recours aux déficits budgétaires à des efforts actifs pour promouvoir la dépense privée, en passant par une plus forte inflation pour réduire davantage les taux d’intérêt réels ou encore un renforcement des contraintes sur le secteur financier. Nous pouvons qualifier cela de révolution. Seul le temps nous le dira.

Divers changements frappants des conditions économiques sont survenus depuis que nous avons écrit ce passage.

Les taux d’intérêt restent inhabituellement faibles


Les taux d’intérêt neutres, tels qu’ils sont jugés par les marchés ou les observateurs financiers, ne se sont pas accrus et ont probablement décliné, même quand nous sommes sortis de la Grande Récession. L’idée que les taux d’intérêt faibles constituaient un simple effet d’après-crise et que les taux remonteraient lentement s’est tout simplement révélée erronée. Aux Etats-Unis, les taux d’intérêt réels à 10 ans ont significativement diminué ces derniers mois et sont environ au niveau où ils étaient il y a 18 mois malgré le passage de fortes réductions d’impôts. En réponse aux inquiétudes à propos d’un possible affaiblissement de l’économie et de l’absence de pressions inflationnistes, la Réserve fédérale a signalé que l’actuel cycle de resserrement puisse s’arrêter avec des taux d’intérêt de court terme inférieurs à 2,5 %. Les marchés considèrent que la prochaine mesure de la banque centrale sera plus probablement une baisse plutôt qu’une hausse du taux directeur. En Europe, en réponse à la faiblesse économique, les autorités monétaires ont retardé de plusieurs années la date à laquelle les taux d’intérêt retourneront en territoire positif et elles se demandent si elles ne vont pas relancer l’assouplissement quantitatif (quantitative easing). En Allemagne et au Japon, les obligations indexées suggèrent que les taux d’intérêt réels négatifs constituent un aspect de la vie économique pour la prochaine génération.

Parallèlement, la politique budgétaire est restée expansionniste (au Japon, fortement aux Etats-Unis, timidement en zone euro) sans entraîner de surchauffe. Malgré cette relance budgétaire, l’inflation a à peine atteint la cible d’inflation de la Fed et les marchés anticipent que l’inflation américaine restera en-deçà de 2 %, même selon les prévisions sur 30 ans. Dans la zone euro et au Japon, l’inflation reste inférieure à sa cible, avec peu d’éléments suggérant que la cible puisse être bientôt atteinte. Cette faible inflation suggère que, malgré des politiques monétaire et budgétaire expansionnistes, l’inflation anticipée est toujours inférieure à la cible ou la production est toujours sous son potentiel, du moins dans ces deux économies.

La politique budgétaire doit jouer un rôle plus important dans les futures récessions


Ces deux développements nous amènent inévitablement à conclure que la politique budgétaire devra à l’avenir jouer un rôle plus important que par le passé. Il n’y a simplement pas assez de marge, même aux Etats-Unis, pour que la politique monétaire réponde adéquatement à une récession de taille standard. Rappelez-vous que la récession américaine typique a été associée à une baisse de 500 points de base des taux directeurs, une baisse deux fois plus importante que ne le permettent les taux aujourd’hui. Mais le problème peut aller au-delà des récessions et être plus récurrent et plus fondamental. La demande globale peut rester chroniquement faible, impliquant des taux neutres durablement faibles. La borne inférieure zéro peut être contraignante pour une longue période de temps, nécessitant un soutien de la part de la politique budgétaire et une redistribution plus profonde des rôles entre politique monétaire et politique budgétaire.

Soyons clairs : Une dette publique plus élevée a en soi des coûts en termes de bien-être (bien que les taux faibles soient un signal que ces coûts puissent être limités, comme le montre Blanchard, 2019), mais dans l’environnement actuel, dans la mesure où des déficits budgétaires plus importants peuvent contribuer à réduire ou éliminer l’écart de production (output gap), les bénéfices pourraient fortement dépasser ces coûts.

L’épisode de borne inférieure zéro du Japon plaide en faveur de l’utilisation de la relance budgétaire


L’épisode de borne inférieure zéro (zero lower bound) au Japon est très instructif. Depuis 1999, le taux directeur est resté à zéro ou proche de zéro et la taille du bilan de la Banque du Japon a été multipliée par cinq depuis. Du côté budgétaire, le Japon a généré un déficit moyen de 6 % du PIB et la dette nette a augmenté de l’équivalent de près de 90 % du PIB. Et, pourtant, un taux directeur nul, un assouplissement quantitatif agressif et une politique budgétaire fortement expansionniste n’ont pas réussi à ramener l’inflation à sa cible ou la production à son potentiel. Pendant longtemps, les économistes qui se sont penchés sur le Japon on souligné des erreurs de politique économique et un recours excessif aux déficits budgétaires. Il est maintenant clair que la forte réponse macroéconomique du Japon était en net la bonne.

On pourrait affirmer que ces mesures budgétaires extrêmes sont nécessaires seulement lorsqu’un pays est à la borne inférieure zéro et que les Etats-Unis sont maintenant hors de la zone de danger requérant de telles politiques. Ce serait une erreur, pour les raisons suivantes.

Premièrement, même lorsque les taux sont positifs, mais proches de zéro, le risque qu’une contraction de la demande globale puisse ramener l’économie à la borne inférieure zéro va inquiéter les ménages et les entreprises, ce qui déprimerait davantage la demande et accroîtrait la probabilité de se retrouver à la borne.

Deuxièmement, même si la borne inférieure zéro peut être quelque peu évitée, disons en supprimant la monnaie fiduciaire et en payant des taux d’intérêt négatifs sur les encaisses monétaires, de très faibles taux semblent souvent être associés à une prise de risque excessive, allant d’un endettement excessif à une hausse de la fréquence des bulles spéculatives.

Troisièmement, il y a de bonnes raisons nous amenant à croire que plus le taux d’intérêt est faible, plus ses effets sur la demande globale s’affaiblissent. En effet, l’argument a été avancé qu’il y a un "taux d’inversion" (reversal rate) en deçà duquel l’effet du taux change de signe, si bien qu’une baisse supplémentaire des taux est susceptible de réduire le prêt.

Quatrièmement, en regardant le long terme, de faibles taux d’intérêt peuvent amener des entreprises débitrices zombies à rester en vie trop longtemps, ralentissement la réallocation et freinant ainsi la croissance économique.

Les preuves empiriques pour chacun de ces arguments ne sont pas pléthores, mais ensemble elles plaident pour maintenir les taux neutres à un niveau raisonnablement élevé et, par implication, pour être enclins à adopter la politique budgétaire expansionniste appropriée pour soutenir la demande.

Cela soulève la question de la coordination des politiques budgétaire et monétaire. L’exemple des Etats-Unis montre qu’elles peuvent fonctionner dans des directions opposées : la Fed avait poussé les rendements des obligations à la baisse et le Trésor avait saisi l’opportunité pour allonger la maturité de la dette publique. La coordination entre la banque centrale et les autorités budgétaires n’est toutefois pas sans susciter des problèmes délicats. L’une des principales avancées pour la politique monétaire a été de rendre les banques centrales indépendantes, de les laisser fixer par elles-mêmes une cible d’inflation à atteindre. Est-ce que cela reste le cas si à la fois les responsables budgétaire et monétaire doivent travailler ensemble pour atteindre le plein emploi ? L’aplatissement de la courbe de Phillips rend cela très tentant d’opter pour des politiques temporellement incohérentes, de tenter la surchauffe au prix d’une inflation apparemment limitée à court terme. Ce danger peut-il être écarté ? (...) »

Olivier Blanchard & Lawrence H. Summers, « Secular stagnation requires rethinking macroeconomic policy, especially fiscal policy », PIIE (blog), 13 mars 2019. Traduit par Martin Anota



Aller plus loin…

« Larry Summers et la stagnation séculaire »

« Les taux neutres, la stagnation séculaire et le rôle de la politique budgétaire »

« Faut-il s'inquiéter de la dette publique lorsque les taux d’intérêt sont faibles ? »

samedi 3 mars 2018

Le pilier manquant de l’architecture de la zone euro : les négociations salariales nationales

« Les décideurs politiques de la zone euro se sont focalisés ces dernières années sur l’approfondissement des unions bancaire et budgétaire, deux importants piliers de l’architecture de la zone euro. Mais leurs débats ont négligé un troisième pilier essentiel, à savoir des améliorations majeures au mécanisme d’ajustement macroéconomique, qui ne peuvent être obtenues que via les négociations salariales nationales.

La question n’est pas nouvelle. Elle remonte au moins aux années soixante avec ce qu’a dit Robert Mundell (professeur de l’Université de Columbia) à propos des zones monétaires optimales. Mundell avait identifié les conditions nécessaires pour qu’une zone monétaire fonctionne bien : les pays doivent avoir des chocs similaires, ou bien il doit y avoir une forte mobilité du travail entre les pays-membres ou bien, si ces deux premières conditions ne sont pas vérifiées, les pays doivent avoir des prix et salaires flexibles.

Les deux premières conditions ne sont pas satisfaites. Les craintes que même la troisième condition ne soit pas satisfaite ont amené plusieurs économistes à s’inquiéter à propos du fonctionnement de la zone euro. Et, dans une large mesure, la crise bancaire de la zone euro a montré que ces craintes étaient justifiées. L’ajustement aux chocs spécifiques aux pays s’est révélé douloureux et, dans certains cas, pervers. Il est peu probable que l’ajustement basé sur le marché puisse être grandement amélioré. Ce qu’il faut, c’est de meilleures directives pour l’évolution des salaires et des prix. Et de telles directives ne peuvent venir que des discussions et négociations tripartites au niveau national.

Les arguments contre les ajustements basés sur le marché


Il y a deux problèmes avec l’ajustement de marché dans les zones monétaires.

Premièrement, même s’il fonctionne bien, l’ajustement de marché peut se révéler pervers (un point qui est peu compris).

Les pays-membres de la zone euro sont sujets à divers chocs : des chocs d’offre ou de demande, des chocs domestiques ou extérieurs, des chocs permanents ou transitoires ; et chacun d’entre eux se singularise par ses effets dynamiques (…) sur la production, le chômage et le compte courant. Aux fins de la discussion, prenons l’une de ces distinctions et focalisons-nous sur deux types de chocs de demande : les chocs touchant la demande domestique et les chocs touchant la demande extérieure. (…)

Théoriquement, l’ajustement de marché à un choc de demande dans une zone monétaire est bien connu et implique quatre étapes : Un choc négatif entraîne une baisse de la production et une hausse du chômage. La hausse du chômage entraîne une baisse des salaires nominaux. La baisse des salaires nominaux entraîne une baisse des prix. La baisse des prix améliore la compétitivité, ce qui entraîne une amélioration du solde commercial, une hausse de la demande et un retour au plein-emploi. L’enchaînement inverse survient en cas de choc positif : une baisse du chômage entraîne une perte de compétitivité, une baisse de la demande et une baisse de la production.

En ce qui concerne les chocs touchant la demande extérieure (disons, en raison d’une moindre production et d’une moindre demande de la part du reste du monde adressée à la zone euro ou d’une perte de compétitivité pour une raison ou une autre), l’ajustement de marché décrit ci-dessus est en effet celui qui est approprié. S’il marche, il corrige la baisse initiale de la demande étrangère et rétablit l’équilibre interne et externe.

En ce qui concerne les chocs touchant la demande domestique (disons, en raison d’esprits animaux ou d’une réévaluation de la croissance future de la productivité), cependant, l’ajustement de marché n’est pas celui qui est approprié. Il amène à résoudre une insuffisance de la demande domestique par une hausse de la demande étrangère. Ou, pour le dire autrement et de façon plus provocatrice, le pays résout son problème de demande domestique en volant la demande des autres pays-membres. Ce n’est ni le bon ajustement du point de vue économique, ni le bon ajustement du point de vue géopolitique, dans la mesure où il est susceptible de provoquer un conflit.

Pourquoi est-ce important ? Parce que dans la plupart des pays, les chocs touchant la demande domestique sont en effet une source majeure des fluctuations. Dans un travail empirique que je réalise actuellement, je constate que la proportion des fluctuations de la production qui s’explique par les chocs touchant la demande domestique est bien plus large que ceux associés à la demande extérieure, en l’occurrence de l’ordre de 80 % pour les pays de la zone euro. Ainsi, dans beaucoup de cas, l’ajustement de marché n’est pas celui qui s’avère approprié. Le bon ajustement ne dépend pas de l’ajustement des salaires, mais plutôt de mesures visant à accroître la demande domestique, de la politique budgétaire aux mesures encourageant l’épargne privée et l’investissement.

Deuxièmement, il faut avouer que l’ajustement de marché ne marche tout simplement pas bien.

Ce point n’est pas bien compris. Même si on laisse de côté le cas de la Grèce (ce qui serait d’ailleurs une erreur), les ajustements longs et douloureux de la Portugal et de l’Espagne pour résorber leurs amples déficits de comptes courants ont rendu manifeste que le processus d’ajustement et ses diverses étapes fonctionnent mal. (La même chose est exacte, à l’autre bout du spectre, concernant l’Allemagne, qui a un excédent courant tellement large qu’il nuit à sa propre économie.)

Le chômage a eu un effet limité sur les salaires, en partie à cause de la borne inférieure effective sur les baisses des salaires nominaux, en partie à cause d’un faible coefficient de la courbe de Phillips en général. La transmission des salaires aux prix a été étonnamment faible, avec une baisse des coûts du travail conduisant à de plus larges marges pour les exportateurs plutôt qu’à une hausse de la compétitivité. L’essentiel de l’amélioration des soldes courants s’explique par une production déprimée et une baisse des importations, plutôt que par une hausse des exportations.

Face à de lents ajustements des salaires et des prix, les décideurs politiques ont appelé à des réformes structurelles pour accroître la production et potentiellement rétablir la compétitivité. Mais il ne suffit pas de désirer une accélération de la croissance de la productivité pour l’obtenir et elle ne peut être invoquée à chaque fois qu’un pays se retrouve en difficultés. Et il n’y a pas eu de boom de la productivité.

A quoi ressemblerait un processus de négociations salariales nationales


Comment peut-on améliorer les ajustements macroéconomiques ?

Conceptuellement, les ajustements macroéconomiques peuvent être améliorés de deux façons : en différenciant entre les chocs et en identifiant ceux qui sont pertinents, et, pour chacun, en évaluant l’ajustement désirable des salaires et des prix ; une solution unique ne convient pas à chaque cas. En pratique, l’amélioration peut passer via un processus impliquant analyse, discussions et négociations au niveau national, qui va chercher le plus possible à décrire les ajustements appropriés et à aider à les mettre en œuvre. En d’autres mots, ce qui est nécessaire est un processus tripartite de négociations salariales, impliquant des représentants des travailleurs et des entreprises aussi bien que l’Etat, en se basant sur une vision claire de ce que le pays doit parvenir à atteindre.

Le processus de négociation salariale doit impliquer l’Etat pour au moins deux raisons : premièrement, parce que l’Etat (via ses politiques fiscales et budgétaires, sa fixation d’un salaire minimum et son rôle dans la détermination des salaires du secteur public) a un rôle central à jouer pour atteindre l’objectif recherché ; et, deuxièmement, parce qu’un tel exercice implique une analyse soignée de la situation et des ajustements nécessaires, donnés par une partie experte et (on l’espère) neutre.

Le processus doit faire partie de l’architecture de négociations. Il doit débuter avec les hypothèses à propos de l’évolution des prix au niveau de la zone euro, tel qu’il est déterminé par la politique monétaire de la BCE : Ce qui importe pour la compétitivité est l’évolution de l’inflation domestique relativement à celle de la zone euro. Le processus doit aussi être complété par des négociations au niveau sectoriel et au niveau de chaque entreprise. L’articulation exacte des négociations aux niveaux national, sectoriel et de chaque entreprise nécessite une poursuite de la réflexion et va au-delà du propos de ce billet de blog. Ce qui est important, c’est que les négociations à des niveaux inférieurs doivent prendre en compte ce que sont les évolutions nationales les plus appropriées et se positionner dans leur cadre.

Appliquons cette logique à la France aujourd’hui

Esquissons dans les grandes lignes les problèmes spécifiques que les négociations salariales nationales auraient à répondre si elles devaient prendre place aujourd’hui en France.

Premièrement, la France souffre toujours d’un substantiel écart de chômage. Pour le dire autrement, elle peut significativement stimuler sa demande que son marché du travail ne se retrouve sous tensions. (Il est difficile d’évaluer où se situe exactement le taux de chômage naturel aujourd’hui. Je crois, en me fondant sur les données relatives à d’autres pays comme les Etats-Unis et l’Allemagne, qu’il est plus faible qu’il ne l’était et qu’il y a une marge substantielle pour une baisse soutenue du chômage.) L’ajustement pour résorber cet écart de chômage ne nécessite pas un ajustement particulier des salaires nominaux ou des prix, mais d’une plus forte demande. L’accroissement de la demande peut survenir naturellement ou nécessiter une politique budgétaire plus active pour arriver plus vite.

Deuxièmement, la France doit améliorer sa compétitivité. Le pays connaît un déficit commercial, qui est susceptible de s’accroître à mesure que la production poursuit sa reprise et que ses importations augmentent. Etant donné qu’il n’y a pas de raison évidente justifiant que la France connaisse un déficit commercial soutenu, cela suggère que la France doit améliorer sa compétitivité et implique que l’inflation des prix reste durablement inférieure à celle de la zone euro. En l’absence d’un boom de la productivité, cela implique que l’inflation salariale reste également durablement sous la moyenne de la zone euro.

Troisièmement, la France peut avoir besoin de maintenir la croissance de ses salaires nominaux sous la croissance de sa productivité pendant un moment. C’est en raison de l’évolution de la productivité et des salaires réels depuis le début de la crise. Alors que la productivité a fortement diminué durant la crise et reste sous son ancienne tendance, les salaires réels n’ont pas reflété ce déclin relatif. Si la productivité ne revient pas à sa trajectoire d’avant-crise, les salaires réels vont avoir à s’ajuster. Pour le dire autrement, les salaires nominaux vont avoir à augmenter moins rapidement que l’inflation des prix moins la croissance de la productivité pendant quelques temps.

Seuls les travaux empiriques et un modèle économique peuvent intégrer ces trois dimensions et caractériser la trajectoire désirable pour les salaires et les prix. Mais un tel exercice peut servir clairement comme un point de départ pour une discussion sérieuse entre les partenaires sociaux et délivrer un meilleur résultat qu’un douloureux ajustement de marché passant par le chômage.

Est-ce que ma proposition est vraiment irréaliste ? Je ne le crois pas, même si elle n’est peut-être pas dans l’air du temps. En effet, une telle structure était en place en France quand elle pratiquait encore une planification indicative et elle était alors largement considérée comme utile. Une telle structure est même plus utile avec les contraintes plus fortes imposées par la zone monétaire. Les partenaires sociaux s’accorderont-ils sur un diagnostic et les ajustements qu’il impliquerait ? Probablement pas complètement. Les travailleurs et les entreprises accepteront-ils les directives ? A nouveau, probablement pas complètement. Néanmoins, les négociations salariales nationales constitueraient une avancée par rapport à un ajustement pur via le marché. Les enjeux sont énormes. Des ajustements lents et pervers ont alimenté la rancœur et le populisme. De meilleurs ajustements macroéconomiques peuvent réduire la douleur et les périls. »

Olivier Blanchard, « The missing third leg of the euro architecture: National wage negotiations », 28 février 2018. Traduit par Martin Anota

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